L'ART AUTOCHTONE
EST AUSSI CONTEMPORAIN :
ENTREVUE AVEC ÉMILIE MONNET

Par Cathy Wong, 4 août 2017

Installations, performances, technologies, l’art autochtone est de plus en plus diversifié et interdisciplinaire. Ses plateformes connectent la pluralité des identités, l’histoire et la spiritualité des artistes autochtones. Bien ancrés dans les enjeux d’aujourd’hui, les artistes nous permettent de mieux comprendre notre monde. Tour d’horizon des arts autochtones d’hier à aujourd’hui avec Émilie Monnet, artiste interdisciplinaire et co-fondatrice des Productions Onishka.

Pourquoi avoir fondé les Productions Onishka?

emilie-monnet
À l’époque de la fondation en mai 2011, j’étais coordonnatrice du dossier international chez Femmes Autochtones du Canada et j’avais commencé à m’impliquer dans le théâtre. En politique, nous sommes confrontés à beaucoup d’injustices. Pour moi, l’art est une façon de communiquer des messages et de vivre mon activisme par le coeur et les émotions, pour contribuer à changer les consciences sur les luttes et les réalités autochtones, pour célébrer la richesse des cultures autochtones. Sur scène, ma pratique est très interdisciplinaire, par exemple j’aime utiliser la technologie. Je veux créer des espaces où des collaborations inusitées peuvent émerger entre des artistes de diverses disciplines et de différentes nations autochtones.

On associe souvent les arts autochtones aux traditions ancestrales. Qu’est-ce que le qualificatif « contemporain » signifie pour toi dans un contexte autochtone?

Il s’agit de pratiques artistiques ancrées dans les réalités et dans les médias d’aujourd’hui, notamment par l’utilisation de la technologie. Toutes les traditions, que ce soit les chants, les histoires, les cérémonies et les langues constituent nos origines, ce qui nous inspire et nous porte. Par contre, nous devons aussi nous projeter dans l’avenir. Nous ne voulons pas être perçus comme des reliques du passé, mais plutôt comme des communautés riches, ancrées, qui sont présentes et qui prennent leur place.


L’art est une façon de communiquer des messages pour contribuer à changer les consciences sur les luttes et réalités autochtones.


Tu as animé une journée de conversation sur la réconciliation (9 juin dernier) dans le cadre du 375e anniversaire de Montréal. Quel était l’objectif?

Je trouve qu’on utilise le mot « réconciliation » à la pelle. C’est un mot utilisé pour qu’on se sente bien en tant que société. Dans le cadre de Scène contemporaine autochtone en juin, je souhaitais donner la parole à des artistes et militants autochtones sur le sujet. Qu’est-ce que ça veut dire? Comment parler de réconciliation s’il n’y a jamais eu de conciliation? Est-ce seulement de belles paroles en l’air? Comment appliquer concrètement la réconciliation? Nous avons réuni une cinquantaine de personnes pour échanger sur le sujet, notamment avec Ellen Gabriel (militante et artiste mohawk de la communauté de Kanehsatà:ke) et Hayden King (professeur Anishnaabe à l’Université de Carleton).

Hayden King a développé un projet appelé Ogimaa Mikana pour renommer la toponymie des rues de Toronto en langue Anishnabemowin. Les pancartes étaient accompagnées d’une explication historique. Cette initiative m’a inspirée, il serait bien de pouvoir avoir un projet similaire ici à Montréal car il est vrai qu’on ne sent pas du tout la présence des langues autochtones sur ce territoire.

corps sanctuaire

Aperçu du projet « corps sanctuaire » des Productions Onishka © Dayna Danger

Tu as également travaillé avec des femmes du Rwanda sur le pouvoir de l’Art pour la guérison et avec des groupes de femmes en Amérique latine. À travers ton travail, tu fais des ponts avec les enjeux autochtones dans le monde. Comment se vivent ces ponts?

J’ai vécu ma première expérience internationale au Chili à 18 ans. Je trouvais les jeunes Autochtones là-bas tellement politisés et conscients des outils politiques internationaux à leur disposition. Chez moi, j’en avais entendu parler, mais je n’étais pas aussi conscientisée politiquement. Ce séjour au Chili m’a donné le goût de m’informer et de m’engager. Partir à l’étranger et voir d’autres réalités nous permettent, bizarrement, de nous enraciner davantage dans notre propre identité et de mieux apprécier d’où l’on vient. Dans l’union des cultures, on peut se fortifier soi-même. Après tout, les impacts de la colonisation sur les autochtones et les traumatismes qui en ont découlé se ressemblent à travers le monde.


Partir à l’étranger et voir d’autres réalités nous permettent, bizarrement, de nous enraciner davantage dans notre propre identité et de mieux apprécier d’où l’on vient.


Quels sont tes futurs projets?

Mon prochain projet artistique porte sur le concept de « corps sanctuaire ». Le corps raconte des histoires (aussi bien l'amour que la violence) et il symbolise en même temps un refuge, un lieu où on se sent en sécurité. Nous avons fait plusieurs portraits en collaboration avec un groupe de femmes ayant fréquenté le Foyer pour femmes autochtones de Montréal. Avec la chorégraphe Reen Almoneda Chang, on y donne des ateliers sur la notion de trouver un sentiment de sanctuaire en soi-même. Ce projet d’art deviendra une installation sonore et photographique intitulée Wishes/Souhait et ouvrira au Oboro le 16 septembre prochain. picto

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